Thursday, October 20, 2005

Cuba, un néostalinisme tropicalisé

 
Elizardo Sanchez Santa Cruz, un dissident de l'intérieur, décrit le fiasco du régime Castro :
«Cuba, un néostalinisme tropicalisé»

Par Eric LANDAL
jeudi 20 octobre 2005
La Havane envoyé spécial


Le social-démocrate Elizardo Sanchez Santa Cruz, ancien professeur de philosophie, est un des plus anciens dissidents à l'intérieur de l'île. Il dirige depuis 1987 la Commission des droits de l'homme et de la réconciliation nationale (CDHRN), une association illégale membre de la Fidh (Fédération internationale des droits de l'homme) qui suit particulièrement la situation dans les prisons cubaines. A 61 ans, il a déjà fait plus de huit ans de prison.
Pourquoi la pénurie économique ne semble pas affaiblir le régime ?
La pauvreté généralisée est liée directement au modèle de l'Etat. Dès la fin des années 60 est née une «opposition de gauche», socialiste, avec même certaines personnes venues du communisme. Elle dénonçait déjà ce qui a fini par arriver : ce modèle d'étatisation fonctionne sur l'exploitation du travailleur cubain. Venir à Cuba, c'est faire un voyage dans le temps, vers le passé, vers le stalinisme. Cuba, c'est un néostalinisme «tropicalisé», un régime hybride, comme un binôme entre Ceausescu et Trujillo (1). Au caudillisme typique de l'Amérique latine s'ajoute la gigantesque capacité de contrôle social d'un régime classique totalitaire. Chaque personne, dans son quartier, est sous contrôle constant, sous intimidation.
Le régime repose sur trois piliers. D'abord, la répression politique et sociale. Le système policier n'est pas d'une «productivité» énorme, mais il est massif. Cuba est le pays qui compte le plus de policiers par habitants dans le monde. Ensuite, la propagande. A l'intérieur, c'est l'éducation ­ le contrôle des manuels scolaires ­ et les médias ­ télés et presse à la botte du pouvoir dans leur totalité. A l'extérieur, c'est ce «charme», cet «enchantement» qu'exerce encore parfois mystérieusement le régime cubain sur une partie de la gauche à l'étranger, notamment, malheureusement, en Europe. Enfin et surtout, troisième pilier : c'est le contrôle de la population via l'économie. Le gouvernement est propriétaire de tout, l'unique employeur. Même le simple coiffeur du coin de la rue est un employé de l'Etat ! Ce que veut l'Etat ? Justement : que ce simple coiffeur se rende compte qu'il dépend de l'Etat ! Il sait ainsi que la moindre expression protestataire signifie la perte de son emploi. Même les rares emplois privés autorisés, des «entreprises» unipersonnelles, dépendent de l'Etat, puisque c'est celui-ci qui accorde les autorisations, que l'on peut perdre d'une heure à l'autre.
Quelle est la situation dans les prisons cubaines ?
Impossible d'avoir des statistiques officielles. Nous faisons, à la CDHRN, un travail de fourmi. Cuba est en soi une île-prison, parce qu'il est difficile de s'enfuir à l'étranger. Mais même à l'intérieur de cette île-prison, le régime multiplie les prisons. Il y a ici une cinquantaine de prisons de haute sécurité, et environ 200 camps d'internement, ce que le gouvernement appelle des «camps de travail correctionnels», où les détenus doivent travailler pour l'Etat, dans les récoltes ou la construction par exemple. Au total, entre 80 000 et 100 000 Cubains sont en prison actuellement, soit 0,9 ou 1 % de la population, encore un record. Cuba est aussi le seul pays du continent américain qui n'accepte aucune visite de la Croix-Rouge ou de la Fidh. L'immense majorité des prisonniers sont incarcérés pour des «délits économiques et sociaux». Ils paient pour l'exemple. Ils n'ont fait que ce que tout le monde fait ici, pour survivre : détourner, «voler» une partie des produits destinés à l'Etat. Le pêcheur qui refile son poisson au marché noir ; l'infirmière ou le médecin qui «sortent» de l'hôpital des médicaments ou des draps ; l'employé de l'usine de vis et de clous qui revend au dehors des vis et des clous... Le régime, avec la pénurie, nous a convertis en un peuple de «voleurs» : 70 % de la population carcérale a moins de 30 ans, parce que la «révolution» a perdu depuis longtemps le soutien de la jeunesse. Ma génération a appuyé cette révolution les yeux fermés, mais le gouvernement sait que c'est fini depuis longtemps.
Plus de 300 prisonniers sont des «politiques», le chiffre le plus important du monde en proportion de la population (lire encadré ci-dessous). Encore un record : 82 prisonniers de conscience sont «parrainés» par Amnesty International, dont Francisco Chaviano Gonzalez, condamné à quinze ans de prison, emprisonné depuis 1994, un des plus anciens prisonniers politiques du monde.
Le castrisme va-t-il survivre à Castro ?
Le chef de l'Etat va fêter ses 80 ans l'an prochain (le 13 août). Il a une interprétation existentielle primitive du pouvoir. Il veut commander pour durer et durer pour commander. Le gouvernement n'est pas un gouvernement, le gouvernement, c'est lui. C'est le côté «caudilliste» du pouvoir cubain : le castrisme ne va pas y survivre. Quand Franco est mort, le franquisme est mort. Quand Pinochet a laissé le pouvoir, le pinochetisme est mort. Si, formellement, le n° 2, c'est le frère (Raul Castro, 76 ans, ndlr), il est très loin d'avoir le même poids symbolique. Il faut voir que 95 % des Cubains veulent du changement, même à l'intérieur de la nomenklatura. Le pays est en train de se défaire par morceaux. Pour le chef du régime, c'est un peu «après moi, le déluge».

http://www.liberation.fr/page.php?Article=332384
 

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